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mardi 14 septembre 2010

Romani et sanskrit, un cas unique


Je vous ai bien eus, non ? -je parle pour ceux qui ont atterri sur ce blog savant en cliquant sur l'image de la jolie danseuse-. Voici donc le blog linguistique in-contour-na-ble! Inclus dans http://tziganes2.blogspot.com

http://larrive.info

Cliquer sur l'image pour l'agrandir -cette fois promis, c'est vrai !


Ce blog est fait de trois articles classés par ordre de difficulté croissante:
1 celui de Jacques Leclerc
2 celui de Marcel Courthiade 
3celui dit "comenius", universitaire étudiant et promouvant l'enseignement du romani


1



L'aménagement
linguistique dans le monde
 Jacques Leclerc

Le sanskrit utilisé entre -1500 et -200 avant JC est l'ancienne langue indo-aryenne, une langue morte à l’origine de toutes les langues indo-iraniennes... sauf que depuis le début de l'ère chrétienne, il a été maintenu en Inde d'une façon plus ou moins artificielle comme la langue littéraire du clergé et des castes cultivées dont il conserve le rôle, écrit en alphabet devanâgarî. 200 000 indiens l'utilisent comme langue seconde.
Il demeura inconnu jusqu’au 18e. Sa découverte permit de s'apercevoir que le grec, le latin, l'allemand et l'anglais, le russe et le polonais, l'arménien, l'albanais présentaient des éléments communs et auraient une origine commune. On parle de langue mère, de langues soeurs, de langues cousines comme en génétique.

Le tsigane
Les Tsiganes sont un peuple indo-européen d’origine indienne. Il s’agit des Kshattriyas venus du nord de l’Inde et arrivés en Grèce au 9e siècle. Puis, au 13e siècle, les Rajputs et ensemble, ils ont formé la Romani Cel – le peuple tsigane – d'où leur surnom de Romanichels, mais ils se nomment eux-mêmes Romané Chavé -fils de Ram- héros de l'épopée indienne Ramanaya.

Sans état propre, ils sont dispersés à travers l’Europe et dans toute l'Amérique. Bien qu'il n'existe aucun recensement officiel, on estime qu'ils seraient environ 120 millions dans le monde en comptant ceux de l'Inde... de l'Argentine à l'Australie en passant par la Sibérie et le Canada. On évalue à près de 2 millions leur nombre dans l'Union européenne avec forte disparité selon les pays; ils sont beaucoup plus nombreux dans les pays de l'Est, environ 8 millions. L'Europe totaliserait donc 10 millions de Tsiganes, soit 85 % de la population estimée à environ 12 millions, si on ne compte pas l'Inde où ils devraient être de plus de 100 millions. Avant la Seconde Guerre mondiale, on comptait approximativement 25 millions de Tsiganes dispersés à travers toute l'Europe, dont 10 millions seulement se reconnaissaient officiellement comme Tsiganes.

Il est beaucoup plus difficile d'évaluer le nombre des locuteurs de la langue tsigane : il n'existe pas de statistiques précises. En Europe et en Amérique, les deux tiers parleraient une forme de leur langue ancestrale, ce qui signifierait 8 millions de tsiganophones. Mais le Summer Institut of Linguistics évalue leur nombre à 1,5 millions. En 1989, l'Union soviétique les estimait à 202 810. Quant à l'Unesco, elle affirmait en 2002 que le tsigane était une langue en danger d'extinction, la plupart des Tsiganes ayant perdu l’usage de leur langue, assimilés dans leur pays d’accueil.

Les tsiganophones sont surtout en Bosnie-Herzégovine, Roumanie, Pologne, Hongrie, Albanie, Grèce, Slovaquie, Ukraine, Portugal, Espagne, Norvège, Suède, France, Pays-Bas, Italie et Allemagne. On distingue le tsigane des Balkans -Pologne-, le tsigane des Carpates -République tchèque, le tsigane finnois -Finlande-, le tsigane sinté -Serbie-, le tsigane gallois -pays de Galles-, le tsigane valaque -Roumanie-, le tsigane gréco-turc, etc. Si les locuteurs du tsigane sont peu nombreux -environ 1,5 millions- les Tsiganes eux-mêmes sont beaucoup plus nombreux, probablement plus de 10 millions. 
 
La langue romani ou tsigane reste l’unique représentante européenne du groupe indo-iranien de la famille indo-européenne. Le romani a préservé en grande partie l'héritage des langues de l'Inde du Nord, plus particulièrement le hindi et le rajasthani dont il a en commun 60 % du vocabulaire de base. Bien que le Tsigane puise son origine dans le sanskrit, il s'est fragmenté en de multiples variétés dialectales enrichies de termes persans, arméniens, grecs, slaves ou roumains; depuis quelques décennies, des racines anglo-saxonnes ont imprégné le vocabulaire moderne, technique et scientifique. Le tsigane d'Europe de l'Est a conservé la grammaire indienne ainsi qu'un bon fonds lexical sanskrit. Cependant, les variétés tsiganes de l'Ouest se sont créolisées pour devenir l'anglo-romani (anglicisé), le manouche (germanisé), le sinto italien, le calo (hispanisé), etc. De façon générale, les jeunes générations semblent abandonner progressivement la langue, ce qui peut être ressentie comme une perte de l'identité tsigane. Depuis quelque temps, elle a été dotée d'un alphabet et fait l'objet d'une standardisation.




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2

Un autre texte, de Mathieu Courthiade (Monde dipl) plus facile d'abord.

Les roms à travers la langue

Trois textes, datés respectivement de 1422, 1590 et 1630, établissent qu'à ces dates, les Rom se rappelaient encore leur origine indienne occultée ensuite par la légende d'une origine égyptienne, puis redécouverte à la fin du18 ème grâce à la comparaison entre la langue des Rom, le romani (ou rromani), et les langues indiennes.
Parmi les groupes nomades de l'Inde qui pourraient être apparentés aux Rom, certains traits des Lohara, Bandjara, Sansi et Cangar évoquent des similitudes, de même que les Dumaki, mais leur langue n'a rien à voir avec le romani.


Il semble que la langue indienne la plus proche du romani soit le sadri, forme véhiculaire du hindi en usage dans la région de Ranchi parmi des tribus aussi bien aryennes que dravidiennes. Le nom même de Rom provient de Ṛomba (ou Ḍomba) désignant divers groupes marginaux d'Inde du Nord se réclamant d'ascendance noble rajpoute, constitués d'éléments restés étrangers au système brahmanique des castes et souvent brimés par les Britanniques. Certains voient en eux les survivants des brillantes civilisations aborigènes, refoulés dans la marginalité par les envahisseurs aryens.

Les dates et les causes du départ des Rom de l'Inde restent inconnues et les identifications de migrations de Djat, Zott, Kauli ou de Luri avec les ancêtres des Roms ne sont pas significatives car tous ces termes sont utilisés en arabo-persan pour désigner une population migrante en provenance de l'Inde qui a toujours été une terre de forte émigration.

Ce que la linguistique peut affirmer, c'est que, avant de pénétrer sur le territoire persan, le tronc commun domani s'est séparé en trois groupes, les Ḍomani ou Nawar (pluriel. de Nuri), qui se sont dirigés vers la Syrie, le Liban et l'Égypte; les Lomani ou Poşa, qui se sont installés dans les régions arménophones; et les Romani, le groupe principal, qui a poursuivi sa route vers l'Europe.

La langue romani

Le premier texte romani connu a été publié en 1537 en Angleterre par Andrew Borde, suivi bientôt par les listes de mots de Scaliger. Au 19ème, les ethnologues ont recueilli et publié des contes et des légendes, mais c'est dans l'U.R.S.S. des années 1930 qu'est apparue la première littérature originale: une quinzaine d'auteurs ont laissé plusieurs centaines de titres (dont des traductions).
Actuellement, l'alphabet officiel commun à tous les dialectes romani est à base latine, complété par quelques accents (ś pour ch, ć pour tch, ǎ pour ya, etc.).
Le caractère indien du romani se manifeste par la présence de près de 900 racines sanskrites et/ou hindi contre environ 70 persanes, 40 arméniennes, 220 grecques et une centaine non identifiées, par une nette similitude du système phonologique, y compris dans la fréquence des phonèmes, enfin par de nombreuses terminaisons communes et un système nominal à deux cas (direct et oblique) complété par des postpositions de type indien moderne, mais aussi par des prépositions. Le verbe a deux temps simples (un présent et un passé), servant de base à tous les autres grâce à un jeu de particules ; il a deux voix : active et médio-passive.





La structure dialectale reflète l'histoire de la dispersion des Rom en Europe.
En Europe orientale, les Roms de la première migration (jusqu'au 16ème siècle), implantés surtout en milieu rural de la Grèce aux pays Baltes ont bien gardé l'usage du romani, sauf en Hongrie.
Progressant très tôt vers l'ouest, dans les régions de langue allemande, les Rom germanisent fortement leur parler, c'est le sinto dont une forme proche est appelée manouche en France.
En Espagne, le romani, pourchassé comme langue du diable par l'Inquisition, disparut en tant que tel mais une partie du vocabulaire survit dans le kalo (ou caló) des Gitans à base grammaticale espagnole.
Un phénomène similaire aboutit en Angleterre à la constitution du pogadi.
Du sous-groupe balkanique est née, vers le bas cours du Danube, un langage romano-danubien qui ne s'est guère étendue en dehors des Balkans
si ce n'est en Turquie qui à son tour a donné naissance aux parlers kelderaś, ćuràri et lovàri qui correspond à la seconde migration (xixe siècle).


Langue de diaspora, le romani a subi des influences diverses selon les pays, perdant par endroits une partie de son lexique d'origine et introduisant des termes étrangers pour exprimer de nouvelles réalités. Malgré toutes les différences, les éléments conservés permettent avec la restauration du vocabulaire localement oublié, la constitution d'une langue du rassemblement à la fois efficace dans la communication internationale et respectueuse, par sa flexibilité, des spécificités des divers dialectes. Il y aurait 65 000 locuteurs de romani en France.

Religion et coutumes

Il a beaucoup été spéculé sur la religion des Rom. En réalité, leurs très dures conditions de vie et les persécutions les réduisent à adhérer par nécessité aux formes religieuses dominantes où ils vivent, mêlées à un substrat d'anciennes croyances: existence d'un dieu et d'un diable, crainte des revenants, pratiques magiques, foi dans une certaine justice de la chance parfois considérée comme l'axe de la vision rom du monde, mais aussi souvent enthousiasme crédule et défaitisme, découragement rapide, dans une alternance bien orientale. La vision simpliste de l'univers donnée par les prédicateurs évangélistes du mouvement pentecôtiste renforcée par un discours -vous êtes les nouveaux élus de Dieu- trouve audience parmi les Rom dont l'identité est fragilisée, comme tous les déshérités; des conventions rassemblant parfois des milliers de caravanes le temps d'une relâche fraternelle et revigorante sont les antidotes au harcèlement du quotidien.


Si des éléments indiens ont survécu dans la culture rom, c'est à l'état de vestiges, souvent métamorphosés. La célèbre catégorie de pureté/impureté qui procède au moins autant d'une logique de l'hygiène et de l'honneur que d'une prétendue métaphysique, n'existe plus guère sous sa forme fondamentale qu'en Europe centrale, remplacée dans les Balkans par la conception musulmane de la pureté alors que l'honneur (patǐv), avec toutes ses implications demeure un fondement solide des relations confortées encore par cette institution qu'est le serment (sovli, ou colax). Les fêtes, mariages, baptêmes, circoncisions, pèlerinages, jour de l'an, mais aussi clôtures de congrès ou de séminaires... sont l'occasion de vastes retrouvailles fortifiantes pour l'identité, la langue et la mémoire collective. L'obligation de virginité de la jeune mariée et son corollaire, le mariage très précoce hérités de la tradition orientale, ont beaucoup reculé depuis vingt ans, permettant aux femmes d'étudier et de s'engager dans la vie sociale.




Les chefs traditionnels dans le groupe sont appelés porte-parole ou simplement vieux mais sont présentés à l'extérieur selon les dignités locales, ducs et comtes puis voïvodes, capitaines, rois et même empereurs. Le droit coutumier est exercé par la rromani kris (jugement rom), qui ne survit guère que dans les Carpates, mais renaît sous des formes rénovées dans diverses communautés. La femme entre dans la famille de son mari comme bori, bru, presque au rang de servante, puis s'élève dans la hiérarchie et peut devenir une phuri daj/dej, crainte et respectée comme dans une société matriarcale.


Le fonds de littérature orale, essentiellement de la prose, a été abondant, mais bien peu a été consigné. Les formules de courtoisie, de vœux, mais aussi d'imprécation, sont d'une grande richesse.


L'habitat des Rom a été longtemps représenté, outre les huttes et les maisons, par des tentes puis, en Occident à partir du 18 ème siècle, par des roulottes. On rencontre des habitats troglodytes en Espagne. Enfin, une forme spécifique de cabanes, creusées dans la terre et couvertes de branchages, dénommés bordei en roumain (putrinǎ en romani), a été en usage pendant des siècles en Roumanie.

Intégration économique et sociale

Les métiers des métaux et du dressage d'animaux semblent liés aux Roms, ainsi que la musique qui a constitué aussi en Europe centrale une importante source de revenus, tant dans les villages que chez les nobles. Les premières professions mentionnées en Occident ont trait à la divination; puis le commerce et le troc, en particulier des chevaux et mulets. Dans plusieurs pays, ils ont longtemps constitué le lien entre le marché urbain et celui des campagnes reculées, depuis les armes, les montres jusqu'aux machines à coudre et aux pompes, plus tous les travaux de vannerie et rempaillage, de réparations diverses, notamment d'automobiles en France et aux États-Unis, où la divination est par ailleurs florissante. Aux États-Unis encore, des Rom ont bâti des fortunes sur le travail des grandes structures d'aluminium ou le recyclage des déchets. L'agriculture emploie des Rom saisonnièrement ou en permanence. Nombreux pourtant sont les métiers, briquetiers et charbonniers en Roumanie, fabricants de cordes en Macédoine, patrons de cinémas ambulants aujourd'hui ruinés par les nouvelles lois du marché. Certains individus s'adaptent mais beaucoup perdent pied et se voient frappés de marginalisation, sinon d'une exclusion sociale dont certains caciques cherchent à tirer parti en conduisant à la mendicité les personnes en détresse.


On a parlé de rapines et de pillages dans les campagnes. En fait, la tradition asiatique permet la maraude en cas de faim, pratique à l'origine des premiers conflits entre Rom et paysans dès le Moyen Âge. Le passage de Rom permettant de couvrir les larcins de voleurs locaux, les accusations n'ont cessé de s'accumuler avec le temps. Pourtant, l'effraction, condamnée avec rigueur par le droit coutumier tsigane, n'est apparue que récemment à la suite de la désintégration de certaines familles en banlieue.



Musique

Élément essentiel de leur culture, la musique; ils reprennent des motifs locaux qu'ils enluminent, transfigurent et tsiganisent, les romances russes et même de simples chansons comme Kalinka, Les Yeux noirs, Les Soirées de Moscou passent désormais, jouées molto rubato, pour partie intégrante du patrimoine tsigane. La part de virtuosité et d'improvisation des Roms notamment au violon et au cymbalum est telle que l'on a longtemps confondu en Occident musique tsigane et musique magyare. Ce sont les Rom encore qui ont été les plus grands ambassadeurs des musiques populaires tchèque et roumaine ; elles leur doivent une gloire européenne. Django Reinhardt a créé le jazz manouche, avec toute sa spécificité swing. Si le flamenco est andalou avant d'être gitan, ses plus grandes figures, comme Camarón, ont toujours été des Gitans. Le succès de Manitas de Plata et des Gipsy Kings est mondial. Au18ème siècle, la violoniste Panna Czinka a connu la plus haute gloire et Georges Cziffra restera un des plus illustres pianistes de notre temps. Parmi les compositeurs classiques qu'a inspirés la musique tsigane, on peut citer Brahms, Liszt, Bartók, Kodály. Certains ont trouvé dans les chromatismes inattendus de la gamme dite tsigane (do naturel, naturel, mi bémol, fa dièse, sol naturel, la dièse, si naturel, do dièse) des traces d'une origine indienne.

Histoire d'une diaspora

Les méprises d'une identification

Les premiers Rom avaient été précédés à Byzance dès le 6ème siècle par une secte orientale de magiciens et de devins errants et mendiants se réclamant du prêtre-roi Melchisédech et dont l'influence avait culminé au 9ème siècle. On admet que leur dénomination grecque, Athinganoi -Intouchés- aurait été étendue par les Byzantins aux premiers Rom à leur arrivée.

De même, l'Asie Mineure avait vu transiter vers les Balkans, entre 306 et 327, d'importantes formations militaires en provenance d'Égypte –lesquelles semblent être à l'origine des Balkano-Égyptiens actuels, que l'on trouve surtout en Albanie, en Grèce et en Macédoine. Le souvenir de ces colonnes d'Aiguptianoi pourrait être à l'origine des désignations françaises d'Égyptiens et de Gitans, gitanos ou en anglais Gipsies données aux Roms. Les autres désignations, Sarrasins, Tatares proviennent également d'amalgames populaires avec divers groupes ou pays.

Apparition et expansion en Europe

Historiquement, une première migration de Rom couvre l'Europe dès le Moyen Âge à partir des Balkans et les migrants se fixent dès qu'ils le peuvent un peu partout, sauf en France et dans les îles Britanniques, où ils restent largement nomades. Les chroniques locales ont consigné assez fidèlement les premières apparitions de Rom en Europe et la stupeur qu'ils y ont provoquée, 1407 en Allemagne, 1419 à Mâcon en France, 1427 près de Paris à La Chapelle, 1425 en Espagne. Après une période d'accueil bienveillant de la part des diverses cités à ces groupes se faisant passer pour pèlerins, accueil conforté par des lettres de protection de nobles locaux ou même d'empereurs et de papes, les autorités se ravisent brusquement, tout d'abord en Allemagne dans la seconde moitié du 15ème siècle. Elles interdisent l'accès des villes aux Rom et paient souvent pour les faire déguerpir. Cette attitude se durcit au siècle suivant et prend la forme de véritables campagnes généralisées de bannissement des Roms, accusés d'irréligiosité, de commerce avec le diable, d'espionnage au profit des Sarrasins, puis de vols d'enfants et de cannibalisme, enfin de brigandage, confondant dans un même rejet Rom, bandes de routiers, bandits de grands chemins et même acteurs ambulants. Commence alors une persécution en règle des Rom non sédentarisés, pour le simple délit d'être tsigane, chassés d'une région à l'autre, d'un pays à l'autre, emprisonnés et envoyés aux galères (France), livrés comme gibier aux chasseurs (Allemagne, Suisse), fouettés, torturés, mutilés, pendus un peu partout – alors même qu'une partie de la population, souvent des nobles de renom, continue à les protéger. Certaines mesures tsiganophobes font date, comme la déclaration contre les Bohèmes de Louis XIV (1682) ou la Grande Rafle des Gitans ordonnée par Ferdinand VI d'Espagne (1749). En Autriche-Hongrie, Marie-Thérèse et son fils Joseph II tentent de faire des Rom de nouveaux Hongrois en dispersant à partir de 1761 les familles et en plaçant de force leurs enfants chez des paysans. Dans les principautés roumaines voisines, les Roms avaient été réduits en esclavage dès le 16ème siècle pour compenser la crise économique et démographique causée par l'avancée des Turcs. Les rebelles, appelés netoţi -fous-, se réfugient dans les forêts et tiennent tête aux autorités. Cet esclavage de cinq siècles, dont l'atrocité a été décrite en abondance par les voyageurs, n'a pris fin qu'en 1856 ; ses conséquences psychologiques obèrent encore gravement de nos jours les relations entre Roumains et Rom en Roumanie.





Au 16ème siècle, une deuxième migration s'étend, à partir de l'actuelle Roumanie, non seulement sur les Balkans mais aussi sur l'ouest, le centre et le nord de l'Europe jusqu'à la région parisienne et gagne ensuite le continent américain. Presque tous ces migrants conservent jalousement l'usage vivant du romani. Restés plus mobiles, ces Hongrois ou Bohémiens réactivent les anciens fantasmes des populations sédentaires, généralisés par la suite à tous les Roms.

De la persécution au génocide

Le début du 20 ième siècle est funeste. Les autorités françaises dénombrent 20 000 ''nomades en bandes voyageant en roulottes'' -1897-et parlent de ces ''bandes de Romanichels qui infestent le territoire''. Cela aboutit à la création du carnet anthropométrique (loi du 16 juillet 1912), énorme dossier appelé en romani baro lil -gros papier- et que le chef de famille doit faire viser au moindre déplacement.
Préparé dès 1899 par la création à Munich du Bureau des affaires tsiganes et la publication et la vente publique en 1905 du monumental Zigeuner-Buch, le génocide des Rom commence en Allemagne: lois de contrôle (1926), surveillance spécifique et permanente (1928), stérilisation eugénique (1933), d'interdiction des mariages mixtes (1934-1935), début d'internement de Tsiganes à Dachau et création de l'Institut de biologie raciale (1936). Ce mécanisme s'étend en 1937 aux pays alliés aux nazis. Les stérilisations deviennent massives en 1938 et les déportations vers les camps de la mort, en Pologne occupée surtout, s'intensifient à l'automne 1939. À cette époque, les nazis estiment la population rom mondiale à 2 millions, dont 18 000 en Allemagne. D'autres estimations oscillent entre 2 et 5 millions. En février 1940, à Buchenwald, le gaz mortel zyklon B est testé sur 250 enfants rom raflés à Brno. Puis commencent l'agonie massive, la faim, le froid, le travail exténuant, les maladies des camps (typhus, noma, gangrène), les brutalités, les expérimentations pseudo-médicales, les massacres dans les forêts et les villages par les Einsatzgruppen et leurs supplétifs, surtout ukrainiens, polonais, baltes, tchèques, croates et serbes, mais aussi roumains. Les camps de la mort se multiplient dans le Reich et essaiment dans les pays fascistes: Jasenovac, en Croatie, est l'un des plus connus ; 28 000 Roms y ont disparu. En Pologne occupée, le camp d'extermination d'Auschwitz et son annexe voisine, le camp des familles de Birkenau sont vidés de leurs 4000 derniers tsiganes, gazés et brûlés le 1er août 1944, lors de la Zigeunernacht, pour céder la place à de nouveaux déportés.


Alors qu'en France, dès 1940, des ordonnances locales interdisent les professions ambulantes, plusieurs camps sont ouverts de 1939 à 1946 pour fixer les nomades : Montreuil-Bellay, Jargeau, la Morellerie, Saliers et bien d'autres. Les conditions déplorables d'internement y seront fatales à de nombreux détenus, surtout aux enfants.





L'évaluation la plus circonspecte du nombre des victimes rom du génocide hitlérien est d'environ 500 000, mais les nazis estimaient avoir anéanti plus de la moitié de la population tsigane d'Europe, 1,5 millions -observation, leurs estimations étaient souvent ''modestes''. La défaite nazie n'a pas mis fin au calvaire des Rom, puisque nombreux sont les pays qui les ont maintenus encore plusieurs mois, voire un à deux ans, en détention. Comme on le sait, la question tsigane a été à peine mentionnée lors des procès de Nuremberg, aucun Rom n'a été appelé à témoigner, les « tsiganologues » nazis ont continué leurs « travaux » après la guerre et des déclarations officielles sont venues prétendre que les persécutions du régime nazi n'étaient pas fondées sur des raisons raciales, mais sur la seule criminalisation de comportements asociaux (Land de Wurtemberg en 1950, gouvernement de Bonn en 1971, mais aussi Conseil central juif en 1985). Quelques modestes réparations de guerre individuelles sont arrachées de haute lutte, très tard et seulement à l'Allemagne, mais toute demande d'indemnisation collective est rejetée; aucun des musées réalisés dans les anciens camps ne mentionne le Samudaripen. En Suisse, l'organisation Pro Juventute, inspirée par des principes d'hygiène raciale fort répandus en Europe avant la défaite nazie, a enlevé des centaines d'enfants de nomades pour les placer en orphelinats de 1926 à 1986 –méthode de génocide culturel appliquée jusqu'à nos jours dans plusieurs pays de l'ancien bloc de l'Est.


Un demi-siècle d'écrasement a brisé les quelques initiatives d'émergence d'une conscience rom telle qu'elle avait pu se dessiner avant la guerre en Yougoslavie, en U.R.S.S. ou en Roumanie (congrès international tsigane de Bucarest en 1933). Les rescapés, choqués sinon mutilés, souvent déplacés et isolés, se heurtent à la survivance de la tsiganophobie.

L'affirmation contemporaine du peuple rom

Entre discrimination et intégration

En Europe occidentale, rejet et ségrégation continuent à se manifester après guerre par les interdictions de stationner faites aux populations nomades, voire le refus de citoyenneté (comme à Cologne dans les années 1950) ou l'envoi en camps de travail.


Toutefois, les législations spécifiques contre les Rom reculent (1969, remplacement du carnet anthropométrique par un carnet de circulation, moins discriminatoire) et font place à d'autres, plus positives (1990, loi Besson imposant à toute commune de plus de cinq mille habitants une aire de stationnement, à l'instar du Caravane Site Act de 1968 en Grande-Bretagne). De multiples organismes publics et privés apportent une aide paternaliste aux Roms considérés comme une classe sociale d'exclus qu'il importe d'assimiler à la société dominante; en même temps, les effets intégrateurs des multiples textes de lois à portée générale étouffent de plus en plus la vie normale de la plupart des Rom non intégrés et les réduit à être des assistés. L'application restrictive des textes par les élus locaux, préoccupés de visées électorales, voire leurs entorses à la loi au détriment de ces citoyens qui ignorent leurs droits, marginalise ces derniers et justifie par contrecoup les activités de bienfaisance à leur endroit.





Dans les pays de l'Est, les Roms sont d'abord reconnus implicitement comme une minorité, sur le modèle soviétique d'avant guerre. Puis, sous la férule gouvernementale, des pseudo-organisations sont créées, maintenues et dissoutes au gré des diktats, au mépris des aspirations et des besoins des Roms. Des initiatives individuelles sont tolérées (comme la création en Hongrie, par Lina Rézmūves en 1970, d'une petite école qui enseigne en romani ou de la troupe du théâtre amateur Roma, près de Prague), lorsqu'elles ne sont pas récupérées, comme les vers de la poétesse rom de Pologne Papùśa par la propagande de sédentarisation-productivisation des années 1950.


La Yougoslavie titiste est plus ouverte, mais elle ne finance guère que les manifestations folkloriques des Rom, comme leur festival annuel. Ce sont des amateurs bénévoles qui assurent à Belgrade l'heure de radio hebdomadaire Aśunen Rroma ! (Écoutez, les Roms!) et publient les quatorze numéros de la revue Krlo e Rromenqo (La Voix des Rom). Si disques et cassettes de musique sont produits, le but reste commercial. En outre, la propagande fait passer pour des écoles de romani quelques cours optionnels dans certains établissements du sud de la Serbie. L'État organise parfois des symposiums et conférences ou publie dans le domaine romani, mais il le fait sur des initiatives individuelles, et à des fins opportunistes.

L'après-guerre froide

Le remodelage de l'Europe en 1989-1990 entraîne à la fois une radicale aggravation des conditions de vie des Roms dans les pays de l'Est et, par contrecoup, une meilleure organisation au niveau national et européen. Partout le chômage frappe d'abord les classes les plus défavorisées, les ouvriers les moins qualifiés et les travailleurs agricoles qui perdent leur emploi avec la re privatisation des terres. Or l'écrasante majorité des Rom appartenant à ces catégories, ils se retrouvent sans ressources, affamés. Une fois leur maison et autres biens vendus, sans espoir de travail, certains deviennent des petits délinquants ou tentent d'émigrer. Misérables, il sont mis au pilori par les groupes racistes, parfois avec la complicité ouverte de la presse, comme en Bulgarie en 1991 et 1992. Si au contraire un groupe profite de la liberté de circulation et s'enrichit dans le petit commerce, il devient la cible de jalousies et de violences physiques (Roumanie, Pologne).





La violence et l'insécurité dans plusieurs pays au niveau local (trente pogroms contre des quartiers roms de 1990 à 1995 en Roumanie se soldent par des dizaines de morts et aucune poursuite des meurtriers ni des incendiaires ; meurtres racistes en République tchèque, en Slovaquie, en Hongrie, avec acquittement fréquent des coupables, notamment les skinheads) contrastent avec les efforts des États: promotion de l'enseignement en romani (Roumanie), des médias et des structures politiques de quartier (Hongrie). Dans d'autres cas, cependant, l'État joue la carte du rejet : la République tchèque refuse la citoyenneté, condition préalable à toute existence légale, aux Roms transportés dans les années 1950 de Slovaquie vers les kombinats tchèques et à leurs enfants, alors que la Slovaquie s'oppose à leur retour, les contraignant à s'exiler au Benelux et au Canada.
Des milliers de Roms ont été abattus ou torturés comme musulmans en Bosnie, mais comptabilisés comme victimes musulmanes. D'autres ont été placés sur la ligne de front par l'armée serbe ou envoyés nettoyer les champs de mines. Parmi les dizaines de milliers de Roms réfugiés à l'étranger, ceux qui tentent de rentrer chez eux sont menacés de mort par les nouveaux maîtres des lieux.

Le racisme prend le plus souvent des nuances plus subtiles. La flambée de représentation parlementaire rom en 1990-1991 (Tchécoslovaquie, Bulgarie), manipulée par les partis, a été éteinte par ces mêmes partis ; certains représentants roms, parfois des apparatchiks du communisme parvenus à maintenir leurs privilèges, nuisent à la montée d'une génération plus efficace qu'eux. Des tsiganologues enflent artificiellement des tensions futiles entre groupes de Roms (entre Rom anciennement implantés et nouveaux venus... ou entre locuteurs de dialectes différents). En matière d'éducation, les atermoiements ministériels créent une génération d'analphabètes alors même que la communauté rom propose un programme solide de scolarisation. Des livres de classes pour les Tsiganes véhiculent le mépris du romani et prônent l'assimilation (Bulgarie). Même des actions de bonne volonté, imposées sans consultation des intéressés, mènent à un échec d'autant plus grave qu'il se produit dans un contexte de chaos économique, de répression générale des minorités et de désignation des Roms comme bouc émissaire.




Ces tourments poussent les Roms à émigrer vers les pays riches et stables, tout comme, dans les années 1960, ils avaient contribué à alimenter ces mêmes pays en main-d'œuvre, Grèce, Turquie et Yougoslavie. En Occident, des analystes surestiment leur nombre, attribuant leur mouvement à une propension au nomadisme, alors que leur but est de se fixer en paix ; ces assertions réveillent tsiganophobie et réflexes de rejet non seulement chez les populations locales, mais aussi chez les Roms déjà intégrés, qui se sentent menacés. Le refoulement des Roms vers les pays qu'ils ont fui se fait souvent de manière brutale. L'Allemagne lie le rapatriement de Roms vers leur pays d'origine à des octrois de subventions à ces pays, comme cela est pratiqué lors de l'envoi de déchets industriels.

La lutte pour les droits

Les Roms se constituent en associations à partir des années 1960 à l'Ouest et à partir de 1990 à l'Est. La plupart sont réunies au sein de l'Union romani internationale (U.R.I.), issue du Ier congrès mondial rom réuni à Londres en 1971, qui affirme ''le droit du peuple rom à chercher sa propre voie vers le progrès''. Soulignant la valeur égale des divers dialectes rom, il appelle au développement d'une langue commune; décide d'un drapeau, choisit pour hymne Gelem, gelem (''Je suis allé par de longues routes'') et officialise l'endonyme rom. Le 2ème congrès, réuni à Genève en 1978, insiste sur l'aspect ethnoculturel et l'origine indienne pour définir le peuple rom; le 3ème, à Göttingen en 1981, s'attache à la mémoire du Samudaripen et à ses implications jusqu'à nos jours. Le 4ème -le premier paneuropéen– à Varsovie en 1990 rejette toute revendication territoriale, souligne l'implication des Roms comme citoyens actifs dans la société, adopte un alphabet unique pour toutes les variantes du romani, dans le respect des divers dialectes, relance la question des réparations de guerre et décide d'une coopération suivie avec les organisations internationales: la revendication cède la place à la contribution au progrès social. Rajko Djurić, sociologue et écrivain, est élu président de l'U.R.I.





Trois textes de l'O.N.U. (résolution du 31 août 1977, recommandation du 28 août 1991 et résolution du 4  mars 1992) reconnaissent le handicap social de nombreux Rom et appellent au respect de leur identité culturelle et à l'élimination de toute forme de discrimination. L'U.R.I., reconnue depuis 1979 par l'O.N.U., obtient en 1993 le statut consultatif (catégorie 2) et la participation, à l'Assemblée générale, d'un délégué, en la personne du docteur Ian F. Hancock. La fondation Rromani Baxt œuvre à la promotion de la culture, de l'éducation et du respect mutuel entre les communautés.
En 1990, pour la première fois, la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (C.S.C.E.) reconnaît le ''problème spécifique des Roms''. La sérieuse coopération qui s'établit entre la C.S.C.E. (aujourd'hui O.S.C.E.) et les leaders roms débouche sur des appels de plus en plus forts au respect des droits des Roms et sur l'ouverture d'un point de contact rom au Bureau des institutions démocratiques à Varsovie.


Dès 1984, la Communauté européenne s'est montrée sensible à la question rom, notamment en matière d'éducation. À partir de 1992, son soutien permet de créer un cadre d'activité à la commission linguistique de l'U.R.I. et de publier des livres en romani. Le Conseil de l'Europe a non seulement pris diverses résolutions significatives, mais il organise aussi des séminaires de formation pour jeunes leaders roms ; le romani y est une des langues de travail. Ayant créé un groupe d'experts dont plusieurs sont roms, il a pour interlocuteur la Conférence permanente, qui rassemble l'U.R.I. et diverses formations locales.


En 1997, la 5ème conférence internationale sur l'éducation des adultes de l'U.N.E.S.C.O. (Confintea V) garantit le droit à l'éducation des ''Tsiganes et autres peuples non fixés sur un territoire et/ou nomades'' afin que, ''compte tenu de leur style de vie et de leur langue, [ils] puissent reprendre leurs études et poursuivre leur formation dans les institutions existantes''.


Les réflexions développées au cours de ces forums ont permis, notamment depuis 1992, de préciser la notion de peuple rom, en référence à une origine indienne commune manifestée par une langue soit effectivement en usage, soit liée au souvenir d'ancêtres l'ayant pratiquée ; toute référence au nomadisme, lequel ne rend guère compte de la réalité, est rejetée : les migrations, historiques ou actuelles, sont le résultat de persécutions, et moins de 4p. 100 des Roms d'Europe ont intégré à leur vie la mobilité comme mode d'activité socioprofessionnelle. La solidarité avec ces groupes a conduit cependant à maintenir la défense de la mobilité dans le programme de l'U.R.I.


La situation actuelle se résume ainsi: ou bien réduire les Roms à une classe sociale de ''Tsiganes'' d'origines diverses, avec une identité d'analphabètes, d'exclus et de marginaux, assistés de l'extérieur pour résoudre le problème qu'ils constitueraient, ou bien affirmer l'identité, par-delà une diversité acquise au cours de l'histoire, d'un peuple européen sans territoire mais uni par une langue, des réseaux de solidarité, une histoire commune de persécutions subies, une philosophie largement partagée. La langue romani étant l'obstacle essentiel à la négation de ce peuple, il n'est rien d'étonnant à ce que les stratégies les plus variées soient développées pour la nier, la folkloriser, la fossiliser ou la morceler en exagérant les différences dialectales . Le négationnisme s'étend aussi au génocide, souvent minimisé. Dans la même optique, un intellectuel rom cesserait ipso facto d'être rom. Pourtant, la contribution rom à la culture européenne n'est plus seulement collective; elle est aussi l'œuvre d'individus comme les romanciers Matéo Maximoff, Veijo Baltzar, Lakatos Menyhert, les poètes Bronisława (Papùśa) Wajs, Leksa Manuś, Rajko Djurić, Bislim Muzafer, Daróczi József, Rostás-Farkas György, les compositeurs Vakthi Sheme, Santino Spinelli, Paco Suárez, les peintres Ferdinant Koçi, Shaban Butić, Bruno Morelli...
 


La vision rom du monde peut apporter ou rappeler à l'Europe des valeurs essentielles d'humanisme, de tolérance, de liberté par rapport au temps et au territoire, de solidarité familiale... Sur l'exemple du Manouche alsacien –qui est à la fois manouche, alsacien, français et européen–, la conception rom rejette le dilemme d'incompatibilité ou de partage des identités tel que l'avancent les nationalismes pour promouvoir une identité composite, la manière rom d'être citoyen.
Marcel COURTHIADE


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3

Projet de l'université ("comenius") d'enseignement du romani en cycle primaire, secondaire et supérieur

"www.dromesqere.net
Projet 119074-CP-1-2004-1-ES-COMENIUS-C21"







LES MIGRATIONS ET LES ORIGINES DES ROMS RETROUVÉES PAR LA LANGUE



LA LANGUE ROMANI
La langue romani fait partie du sous-groupe indien de Nord-Nord Ouest de la branche indo-iranienne de la langue indo-européenne... Avec les idiomes panjabi, sindhi c'est l’une des principales 27 langues néo-indo-aryennes ou "indiennes modernes" suivant le nombre de personnes qui l’utilisent. Mais le romani  se trouvedans la situation originale de ne plus être parlée sur le territoire du sous-continent indien.

Sur les environ 14 millions de Roms [dispersés en Asie, en Europe (env. 7-10 mil.), dans le Nord de l’Afrique, en Amérique du Nord, Centrale et du Sud, en Australie], environ 7 millions parlent encore leur langue. La langue romani, qui se caractérise par un lexique fondamental hérité des langues indo-aryennes anciennes et, par son rapprochement typologique, des langues indo-aryennes moyennes et nouvelles, se présente sous forme de dialectes qui ne se différencient pas par leur structure grammaticale qui, par sa nature conservatrice et peu pénétrable, s’est maintenue presque intacte dans tous les dialectes rom mais par des nuances des composantes lexicales. 

Il faut noter que, par son isolement précoce des langues indiennes moyennes et néo-indiennes, au début ou vers le milieu du Ier millénaire ap. J.-C., la langue romani possède un caractère synthétique prononcé, à la différence des autres langues indiennes modernes "soeurs" fortement analytiques.

Le maintien, dans la langue romani, de certains traits archaïques, synthétiques des langues indiennes anciennes entre environ la moitié du IIe millénaire av. J.-C. Et jusqu’au Ve siècle ap. J.C., et moyennes entre environ la moitié du Ier millénaire av. J.-C. jusqu’à la deuxième moitié du Ier millénaire ap. J.-C. – surtout de la langue apabhramśa (“langue altérée”), qui marque le passage des langues indiennes moyennes (les langues prakrite) aux langues néo-indiennes nous autorisent à admettre que le départ des ancêtres des Rom d’Inde s’est produit, vraiment, pendant l’intervalle compris entre les IIe - IIIe siècles ap. J.-C. et jusqu’à la phase initiale de formation des langues néo-indiennes c’est à dire jusqu’à la fin du Ier millénaire ap. J.-C. . L’argument principal est représenté par le maintien de son caractère largement synthétique comparé au profond caractère analytique des autres langues néo-indiennes, surtout de celles de l’Est de l’Inde.

Si l’exode des proto-Rom a commencé pendant le Ier millénaire ap. J.-C., vers les années 300-500 ou vers l’année 900 ap. J.-C., lorsque les langues indo-aryennes entrent dans leur phase moderne, sous le nom de langues du groupe indien "sanskrit", ceci reste encore un problème ouvert et difficile à résoudre. 

Note de moi : n'y aurait-il pas eu plusieurs exodes et ceux qui arrivèrent au fur et à mesure n'ont-ils pas apporté ensuite les modifications de la langue originelle ?

Mais le lien entre la langue parlée par les proto-Rom et les langues indiennes est certain, si l’on tient compte de certaines ressemblances phonétiques, morphologiques, syntaxiques et lexicales entre la langue romani et le sanskrit, d’une part, et, d’autre part, entre la langue romani et d’autres langues néo-indo-aryennes. 

 Note de moi : le sanskrit était la langue des érudits, une langue  tirée de la langue "vulgaire"  modifiée syntaxiquement -rendue analytique- et "fabriquée" par les brahmanes, peu parlée par le peuple : quelles sont les ressemblances réelles du romani avec le sanskrit ?





La langue parlée par les proto-Rom aurait connu, ensuite, un contact plus étroit avec les langues indiennes du N-O et les langues "dard", plus tard elle s’en est détachée et elle a pénétré peu à peu dans d’autres zones. Si l’on accepte l’idée de l’exode des proto-Rom vers la moitié du IIIe siècle ap. J.-C., il faut observer qu’en Inde on était à l’époque à l’étape des langues indo-aryennes moyennes qui a duré de l’époque de Bouddha (Ve siècle av J.-C.) jusqu’à la moitié du Ier millénaire ap. J.-C. C’est la phase linguistique des langues indo-aryennes moyennes qui, en sanskrit, est nommée "prākrta", langue utilisée par tous, commune. Les linguistes du siècle passé ont déduit, à partir des ressemblances entre le sanskrit et l’avestique, que les Indo-Iraniens (après une cohabitation d’un millénaire et demi, commencée au IIIe millénaire av. J.-C.) se sont divisés, au début du IIe millénaire av. J.-C., vers l’an 1500 av. J.-C., en deux groupes, le groupe indo-aryen et le groupe iranien, et en même temps s’est produit implicitement la scission de la langue indo-iranienne en sanskrit védique (des textes sacrés) et iranien.

 Note de moi : les roms auraient-ils une culture bouddhiste en ce cas ?  

















Le groupe indo-aryen a connu trois phases linguistiques principales de développement: ancienne, moyenne et moderne. Pour la langue romani sont intéressantes les langues néo-indo-aryennes (langues indo-iryennes modernes). Le passage de la phase de langues médio-indo-aryennes à la phase de langues néo-indo- aryennes s’est teminé vers la fin du Ier millénaire – le début du IIe millénaire ap. J.-C.. Les plus anciens textes écrits dans les langues néo-indo-aryennes datent du X-XII siècles ap. J.-C., ils sont en ancienne langue benghali, en ancienne langue marathi, en ancienne langue hindi, etc. Les personnes parlant des langues néo-indoaryennes entrent en contact, dans le N-O, avec des personnes parlant des langues iraniennes, dans le N et le N-E, avec des personnes parlant des langues tibétobirmanes, dans l’Est, avec des personnes parlant des langues munda, et dans le Sud, avec des personnes parlant des langues dravidiennes (voir plus loin les tamouls). Les langues néo-indoaryennes sont rencontrées aussi dans le Centre, le Sud et l’Ouest de l’île de Ceylan (Śri Lanka) – où l’on parle le singhalais, sur le reste du territoire de l’île on parle le tamoul, langue dravidienne.




Situation linguistique actuelle en Inde

Dans la plupart des ouvrages consacrés à la description des langues néo-indoaryennes, les chercheurs préfèrent une approche typologique des ces idiomes (oubliant ainsi l’essentiel – d’offrir un minimum de coordonnées pour la caractérisation et la définition de la place distincte de chaque idiome). Par la mise en connexion des informations obtenues de différentes sources, nous avons établi, suivant le nombre des personnes qui les parlent, une hiérarchie des principales 27 langues néo-indo-aryennes (indices modernes, néo-indices, indo-aryennes modernes): hindi, bengalī, urdu (comme variante de la langue hindi), panjābī (d’Est), bihārī, marathī (avec le dialecte. konkani), kosali, gujarātī, rājasthānī, oriya, assamī, lahndā (panjābī d’Ouest), rromani, nēpalī, singhalais, sindhi, bhīlī, cachemirien, pāhārī d’Ouest, garhwalī, kumaūnī, khandeśi, shina, maldivien, khōwār, kohistānī, phalūra. 

 Nous constatons que, de ces langues, quatre langues (romani, singhalaise, kohistānī et maldivienne) ne sont pas parlées à présent sur le sous-continent indien, et autres 17 langues sont parlées en Inde, mais aussi dans d’autres pays (le hindi: Inde/ Afrique, Guyane, Surinam, Fiji, Maurice, Trinidad - par des immigrants-, le bengalī: Bangladesh/Inde ; la langue urdu: Pakistan / Inde / Guyane (immigrants); la langue panjābī d’Est: Inde / Pakistan, la langue bihārī: Inde / Népal ; la langue kosali: Inde / Népal ; la langue gujarātī: Inde / Pakistan ; la langue rājasthānī: Inde / Pakistan ; la langue assamī: Inde / Bangladesh ; la langue lahndā (panjābī d’Ouest): Pakistan/Inde ; la langue nēpalī: Népal/Inde ; la langue sindhi: Pakistan / Inde; la langue cachemirienne: Inde / Pakistan ; la langue shina: Afghanistan / Pakistan / Inde ; la langue maldivienne: Maldives / Inde ; la langue khōwār: Pakistan / Inde ; la langue phalūra: Pakistan / Inde. 




De même, 7 langues sont parlées seulement sur le territoire de l’Inde: la langue marathī (avec le dialecte konkani), les langues oriya, bhīlī, pahari d’Ouest, garhwālī, kumāūnī, khandeśi. Il faut aussi noter que 5 langues des 27 énumérées appartiennent au sous-groupe des langues dard du groupe des langues indiennes: les langues cachemirienne, ιησ α, khōwār, kohistānī, phalūra. 

 Sur les 15 langues régionales officielles d’Inde, 10 sont néo-indo-aryennes: les langues hindi (langue officielle nationale), bengalī, urdu, panjābī d’Est, marathī, gujarātī, oriya, assamī, sindhi (dès 1967, la dernière par ordre de reconnaissance), cachemirienne. Les autres 5 langues régionales d’Inde n’appartiennent pas à la branche indo-iranienne. Il faut mentionner aussi que d’autres langues néo-indoaryennes sont des langues officielles, mais dans d’autres pays: le nēpalī (au Népal; évidemment, cette langue étant parlée aussi en Inde), le singhalais (au Śri Lanka), et toujours le bēngalī, avec un double statut de langue officielle (nationale – au Bangladesh, régionale – en Inde). En général, les classifications dans un groupe ou dans un autre suivent la configuration géographique zonale de l’Inde, tout en respectant la distribution géographique des sous-groupes indiens (central, d’Est, de Sud, de Sud-Ouest, dard, d’Ouest, pāhārī d’Ouest, de Nord-Ouest et de Nord). 

Si nous faisons référence aux langues contemporaines indiennes (dans l’acception « d’Inde actuelle») et pas seulement aux langues néo-indo-aryennes (ou aux “langues indiennes modernes”), alors nous devons recourir à une approche géographique, prenant en considération les langues d’Inde, sans tenir compte de ramifications des familles linguistiques auxquelles elles appartiennent. Laurenţiu Theban (1969), dans son article Langue et “dialecte” en Inde, classe de manière décroissante les principales 28 langues maternelles parlées en Inde (des langues
parlées par plus d’un million de personnes): les langues hindi, telugu, bengalī, marathī, tamoul, urdu, gujarātī, kanada, malayālam, oriya, panjābī, bhojpuri, assamī, mārwārī, kharī bolī, maithilī, santālī, chattīsgarhī, magahī, kāśmīrī, mewārī, dhundhārī, gondī, konkani, mālwī, kurukh-orāon, kumāūnī, nēpalī. En Inde, on le sait, en dehors des trois branches des familles linguistiques mentionnées plus haut, il existe une quatrième, la branche de la famille sino-tibétaine (la plus riche comme nombre de langues et la moins représentée comme nombre total de personnes la parlant). 



Note de moi : les tamouls ou dravidiens, habitants originaires de l'Inde [ensuite conquise par des envahisseurs dits "aryens" venus selon les sources de du Caucase -ou d'Asie centrale-] sont un peuple mythique, noir,  issus selon la légende d'un continent [l'Atlandite?] englouti dont la culture brillante et secrète éclipsait celle les autres peuple, parlent une langue inchangée depuis 25000 ans -cas unique-, spécifique, selon eux la première langue de l'humanité. (70 millions de personnes.) Les indiens étant en majeure partie de type foncé -certains sont plus clairs que les tamouls- on peut se demander comment ils seraient issus d'envahisseurs dont les nazis ont fait l'archétype du blond viking ? Le peuple envahisseur aurait-il pu transmettre sa langue et non ses gènes? Cela semble peu vraisemblable -même si la théorie est parfois soutenue-. Il semble plus probable que ce sont les indiens qui auraient transmis -indirectement, et considérablement modifiée- leur langue à travers tout le continent indo européen.



Il est utile de rappeler le rapport entre les langues d’Inde, établi par Laurenţiu Theban (1969, 235), du point de vue de leur généalogie et de leur nombre (nombre de langues / nombre de personnes les parlant), dans les 4 branches des familles de langues: 
1. indo-européenne: 574 langues / 322 millions personnes; 
2. dravidienne: 153 langues / 108 millions personnes;
3. austro-asiatique (munda): 65 langues / 6 millions de personnes; 
4. sino-tibétaine: 226 langues / 3 millions de personnes. 
Il faut observer que la langue sindhi (la 15e langue officielle de l’Inde) ne figure pas parmi les 28 langues maternelles les plus parlées en Inde,étant surtout parlée au Pakistan.

La contribution de la langue romani à l’éclaircissement de l’origine des Rom

Comme nous l’avons dit dans les cours précédents, la linguistique a eu au moins trois mérites: d’éclaircir l’origine indienne de la langue romani et des Rom, d’établir l’intervalle de temps approximatif de l’exode des Rom d’Inde (IIe-VIII siècles ap. J.-
C.) et de reconstituer le chemin parcouru par les ancêtres des Rom, d’Inde jusqu’en Europe, à l’aide de l’étymologie. Ainsi, par l’analyse du lexique rom, ont été identifiés, en dehors des anciens éléments indiens, d’anciens mots d’origine afghane, persane, arménienne, ossète, gruzène, turque, grecque, sud-slave, roumaine, etc. (v. Miklosich 1872 – 1873, III, 9), marquant ainsi les zones géographiques parcourues par les ancêtres des Rom. 

Donc, la composante lexicale prébalcanique de la langue romani contient, en dehors des éléments fondamentaux indiens, des emprunts aux langues des populations avec lesquelles les ancêtres des Rom sont entrés en contact pendant leur immigration d’Inde jusqu’à leur entrée dans l’Empire byzantin. Par exemple, en dehors des mots d’origine indienne (environ 900-1100 d’éléments maintenus) – par exemple : jakh “oeil”, kham “ soleil”, nakh “nez”, patrin “feuille”, purano “ancien”, raklo "garçon non rom", raj "monsieur", rat “ sang”, sap “serpent”, suv “aiguille”, śośoj “lapin”, thud “lait”, зamutro “gendre”, etc. –, on rencontre aussi des éléments lexicaux adaptés à l’esprit de la langue romani (l’accent tombe sur la dernière syllabe, comme dans les anciens mots indiens), empruntés aux langues : persane (ambrol “poire”, buzni “chèvre”, xer “âne”, khangeri “église”, momeli “bougie”, etc.), arménienne (dudum “courge”, grast “ cheval”, koćak “bouton” etc.), gruzène (ćamćali «cil»), ossète (tirax “soulier, chaussure”, vurdon “charrue, char”, etc.). Mais, dans le cas du chemin parcouru par les ancêtres des Rom d’Inde vers l’Ouest (Asie, Balkans, Nord de l’Afrique, Europe) il existe aussi plusieurs opinions. L’unique science qui puisse offrir des réponses à ces incertitudes reste toujours la linguistique, mais, dans ce but, il est nécessaire d’intensifier les recherches, en identifiant au moins le lexique des idiomes parlés dans chaque pays, dans une perspective étymologique. 




Il semble que, après avoir quitté l’Inde, les ancêtres des Rom ont traversé les territoires correspondant aujourd’hui au Pakistan, à l’Afghanistan et à l’Iran - pendant plusieurs siècles - , puis, vers la fin du Xe – début du XIe siècles, ils seraient arrivés dans le Nord de la Mésopotamie. Il est à noter, entre parenthèses, le fait qu’avant l’arrivée des ancêtres des Rom à l’Est de l’Empire byzantin (qui a existé de 395 ap. J.-C. jusqu’à l’an 1453) il semble qu’ils se sont écartés de la route principale, c’est à dire qu’une petite partie des ancêtres des Rom s’est dirigée vers le Nord et s’est installée dans l’Asie Centrale (sur le territoire des actuelles Républiques de Tadjikistan, Kirghisistan, Kazachstan, Ouzbékistan et Turkménistan), respectivement dans la région chinoise de Sintzean (au nord des montagnes d’Altân Tagh du Pamir et de Tian-San, qui est divisée dans les bassins Tarim et Tungaria (Yunggar)). Revenant au trajet principal suivi par les ancêtres des Rom, à l’Est de l’Empire byzantin, il faut noter qu’ici a été un moment-clé pour le parcours des ancêtres des Rom et de leur langue. Évidemment, la cohabitation des ancêtres des Rom avec des populations de l’Empire byzantin, à partir des Xe-XIe siècles ap. J.-C., a eu des influences linguistiques, identifiées aujourd’hui, sur la langue romani, au niveau phonétique (apparition de la variante vocalique ď pour i, respectivement de la variante phonétique ë pour e – dans les dialectes des Rom appelés chaudronniers et étameurs), morphologique (reprise des articles du grec, du suffixe pour les noms abstraits -mós (sg.) / -máta (pl.), de certaines désinences du turc, du grec, puis du bulgare, du roumain, etc.), mais, surtout, lexical , par exemple des emprunts des langues: turque: (siněa "plateau, table"), grecque (paraměći "histoire", karfin “clou”, drom "route", peěnda "cinquante" etc.), bulgare (paparůda "papillon, cf. dial. urs.: "zďlto " jaune", dďlgo "long") ou, ultérieurement, des éléments sud-slaves (zčleno " vert ", sborězel “parler” – chez les Rom appelés montreurs d’ours dressés, etc.), roumain (atůnći “alors”) etc.
.
En général, la plus grande influence sur la plupart des dialectes rom a été exercée par la langue grecque, ce qui suppose un long séjour des ancêtres des Rom sur le teritoire où l’on parlait le grec. D’ailleurs, on dit, et à juste titre, que la deuxième "patrie", pour beaucoup des Rom du monde, a été représentée par les Principautés roumains, car ils y ont séjourné plus d’une moitié de millénaire en état de servitude. Certes, les idiomes rom, à leur tour, ont eu une influence non négligeable sur le lexique des langues de contact, surtout au niveau de l’argot.


Note de moi : on troiuve en effet dans les mots d'argot vulgaires... beaucoup de mot... sanskrits ! (chouraver, dare..) 


 
Premiers échantillons consignés de langue romani

Le stéréotype suivant lequel la langue romani est éminemment orale, avec consignation par écrit très tardive, est faux, car la première attestion dans cette langue date de 1547, lorsque l’Anglais Andrew Borde publie dans le The First Boke of the Introduction of Knowledge treize expressions usuelles en langue romani, accompagnées de leur traduction anglaise. Malheureusement, ces notes soit ont été écrites approximativement par Andrew Borde, ou il a utilisé un informateur qui ne connaissait le romani que de manière "superficielle" . Le deuxième moment est représenté par l’introduction, par Bonaventura Vulcanius (1597), de 71 mots dans un chapitre "s’écartant" du contenu promis dans le titre de son livre, De lit[t]eris et lingua Getarum siue Gothorum. Item de notis Lombardicis. Quibus accesserunt specimina variorum linguarum /…/ (Leiden, 1597). Le Néerlandais Bonaventura Vulcanius ajoute un chapitre intitulé “De Nubianis erronibus, quos Itali Cingaros appellant, eorumque lingua” (“Sur les nomades nubiens, que les Italiens appellent cingari, et sur leur langue”, p. 101 - 105), montrant qu’il avait appris “ces choses-là” “du brillant homme Joseph Scaliger” p. 101. (il est à noter que le Gascon Joseph Justus Scaliger, descendent de l’humaniste italien de l’époque de la Renaissance Giulio Cesare Scaligero < Julius Caesar Scaliger, 1484 1558>, est né à Agen (en 1540) et est décédé à Leyde, en 1609).



De la présentation de Bonaventura Vulcanius nous apprenons que les nomades nubiens qui ”errent en hordes, sans avoir un endroit exacte pour s’y installer /…/ à travers le monde entier” sont originaires de Basse Égypte d’où “il y a environ 160 ans” [donc, vers l’an 1437] ils ont été “chassés de leurs territoires par le sultan de l’Égypte et, après avoir erré comme mendiants à travers la Palestine, la Syrie et l’Asie Mineure, après avoir traversé l’Hellespont” (le détroit des Dardanelles), ils ont fait irruption en une foule “extrêmement nombreuse en Thrace et dans les régions avoisinant le Danube”. Bonaventura Vulcanius ajoute: “Les Italiens les appellent Cingari, les Gaulois (les Français) - Bohémiens (car c’est de Bohême qu’ils ont reçu les premières informations sur eux). On les appelle aussi Égyptiens, car les Nubiens même appellent “Nubie” la Basse Egypte. Stéphane les appelle Nubiens şi Nomádes /…/. Leur métropole /…/ est appelée à présent Gondari, étant même inscrite sur la mappemonde turque /…/” p. 101 [Gondar (Gonder), ville dans le N-O de l’Éthiopie, capitale de l’Abyssinie entre 1632 – 1855]. 

La raison de la présence des 71 mots dans ce chapitre est expliquée par Bonaventura Vulcanius lui-même: "En général, les nomades sont des voleurs comme ces cingares, leurs rejetons, qui ont gardé non seulement les coutumes de leurs ancêtres et leurs vilaines tromperies, mais aussi leur langue; de leur langue nous y donnons quelques exemples, non seulement pour combattre ceux qui divaguent, en affirmant que cette langue a été créée par eux mêmes et qu’elle n’est parlée nulle part dans le monde exceptant ces nomades cingari. C ’est une affirmation à laquelle il ne faudrait pas croire et ça à juste raison."

Pour éclaircir le problème des Nubiens nomades, Bonaventura Vulcanius consacre un nouveau chapitre (pp. 105 - 109) “à d’autres nomades pas très différents des Nubiens”, mais qui se différencient par leur langue. Dans ce but, l’auteur, citant son collègue gascon Joseph Justus Scaliger, montre que les Nubiens, appelés par les Italiens “cingari”, par les Espagnols “gitans, c’est à dire égyptiens” et par les Belges “heydenen, c’est à dire païens”, “ont eu leur propre langue, spécifique à la province d’où ils sont originaires”. Evidemment, parmi les 71 mots de la langue des “Nubiens nomades”, en fait, des mots de la langue romani, se retrouvent aussi des erreurs d’équivalence, que nous avons mis en évidence (Sarău, 1998), Marcel Courthiade (1995 a, 4) et Pobożniak (1964, 5), et parmi ces mots se trouvaient aussi des mots d’origine slave („bohémienne”), confirmant leur passage par l’espace géographique européen. Malheureusement, les ouvrages parus du XVIe - fin XVIIe siècles continuent à discuter sur la soi-disant origine “égyptienne” de la langue romani et, jusqu’au début du XIXe siècle, ont été publiés seulement des mots ou des phrases, certains cités par des philologues, des comparatistes ou des ethnologues, de manière “très approximative, surtout par les historiens et par les ethnologues”.
 


Premiers indices sur l’origine indienne de la langue romani

Si les premiers enregistrements en langue romani datent des années 1547, respectivement 1597, la première liaison des Rom avec le contexte indien sera faite beaucoup plus tard, par le théologien hongrois Wáli István. 

Formé au Collège de Debrecen, pendant ses études de théologie à l’Université d’Utrecht (entre 1753 et 1754), il visite aussi l’Université de Leyde, où il connaît trois étudiants de “Malabar”, en fait de Ceylan (Sri Lanka). Pendant leurs discussions, Wáli István observe un rapprochement sonore entre la langue parlée par les étudiants indiens et la langue des Rom de son pays et rédige, pour son propre usage, un lexique de plus de 1000 mots qu’il a lu, après son retour dans le pays, en 1754, aux Rom de Győr (Raáb), leur demandant de rendre en hongrois le sens des mots qu’ils comprenaient. Wáli István n’a pas publié ses constats, mais il en a parlé à un ami imprimeur et théologien de Carei, Szatmár - Némethi Pap István, qui, à son tour, en a parlé au capitaine Dobai Székelyi Számuel. À base d’une lettre de ce dernier, dans une publication viennoise est parue, en 1776, une brève information sur les observations de Wáli István. Environ 29-30 ans après le constat et 7 ans après sa publication, H.M. G. Grellmann a repris l’information, l’a soutenue et l’a développée. Évidemment, les étudiants de “Malabar” ne parlaient pas une langue indienne, mais une langue dravidienne, mais eux, de formation brahmane, connaissaient aussi le sanskrit, langue de culte, en plus, la langue des “Malabars” contenait elle-aussi des emprunts du sanskrit. (Il est possible que ces étudiants d’Inde n’aient pas indiqué, comme pays natal, le Ceylan, comme il a été enregistré dans les registres de l’université, mais la région de Malabar, celle-ci étant connue à l’époque par le débarquement à Calicut, dans la Kerala, sur la côte de Malabar, du navigateur Vasco da Gama, en 1498. La découverte de Wáli István allait bientôt être confirmée par des romologues renommés, tels que I.C.Ch.Rüdiger (1782 - 1793 – dans une certaine mesure), H. M. G. Grellman (1783, 1787), M. Graffunder (1835), A. F. Pott (1844 - 1884), Heinrich von Wlislocki (1884), etc.

Situation actuelle de la langue romani

Avant 1990, il n’existait pas de forme standard de la langue romani. Dans chaque pays, on écrivait différemment, en utilisant, dans la plupart des cas, l’alphabet de la langue majoritaire. En 1990, a été organisé le quatrième congrès mondial des Roms à Varsovie où il a été décidé d’une forme normalisée de la langue et le système d’écriture proposé. 

Note de moi : lequel ?

En Roumanie, les Rom ont opté, dans leur majeure partie, pour l’enseignement en langue roumaine ou, en fonction de la tradition locale en hongrois. A présent, des 250.000 élèves rom fréquentant l’école et ayant assumé l’identité rom (selon des rapports des inspections académiques départementales), 25.525 étudient, en plus des 3-4 heures/semaine/classe, la langue et la littérature romani 1 heure/semaine dans 370 écoles et lycées de 41 départements sauf Neamţ avec 420 professeurs. Le romani est aussi étudié comme langue maternelle dans trois classes et 25 préscolaires rom bénéficient d’un enseignement bilingue à l’École maternelle de Săruleşti, dép. de Călăraşi. Dans les départements de Braşov et de Teleorman il existe un directeur d’école rom.




Pour la première fois en Roumanie, l’étude de la langue romani a commencé à l’Université de Bucarest le 22 octobre 1992, par un cours facultatif et, pendant l’année universitaire 1997 / 1998, a été créée la section B langues indiennes (hindi – romani) – 10 places chaque année, et, à partir de l’année universitaire 2005 / 2006, la langue et la littérature romani sont étudiées dans la section A, avec 20 places chaque année. En parallèle, à partir de l’année 2000 / 2001 et jusqu’à l’année universitaire 2004 / 2005, l’Université de Bucarest – par son Département d’Enseignement à Distance CREDIS, en collaboration avec la Faculté de Psychologie, Pédagogie et Sociologie et la Faculté de Langues et Littératures Étrangères – a organisé, annuellement, un concours d’admission à la section instituteur en langue romani, avec 60 étudiants qui ont obtenu le diplôme.

Gosse a dit…
Très intéressant. J'apprends plein de choses en linguistique. Je connaissais les grammaires isolantes et agglutinantes, mais pas les langues analytiques et synthétiques. Je ne savais pas que des Roms s'étaient aventurés en Asie Centrale aux confins de la Chine. Hors linguistique, je sais que Pierre Derlon avait été marqué par la place similaire de la turquoise dans les parures des Hopis et des Gitans, et je m'étais fait la remarque que sur le Vieux Continent, les pays où la turquoise est la plus utilisée sont l'Iran (qui est un gros producteur) et le Tibet (qui n'en produit pas).
Alors, le mot "turquoise" en romani est-il d'origine perse ou tibetaine ? 
17 septembre 2010 20:49  
Merci à Gosselent pour le lien avec Pierre Derlon, très intéressant, notamment sur les conversions des roms au catholicisme, protestantisme... ce qui a généré des "guerres -de religion- inter tribus" qu'ils ignoraient avant. HL
... et à Edwige pour ses liens musicaux. HL




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